Mes grands-parents ont pu échapper au massacre parce qu'il se sont réfugiés dans la cave de l'école en compagnie d'une dizaine d'autres personnes. Voici les témoignages (recueillis au printemps
2000) de ma grand-mère Jacqueline Roy et de Christiane Benoist, à l'époque employée de maison de Mr et Mme Gandar, les instituteurs.
Ce matin-là, je suis seule à la poste ; ma petite fille Liliane, âgée de 15 moi s, dort encore dans la chambre.
Mon mari, facteur, est parti à bicyclette porter le courrier au bureau de poste de la Celle-st-Avent , commune voisine.
Sur la voie de chemin de fer, un train est mitraillé par líaviation Anglaise. Mon mari ne peut donc pas franchir le passage à niveau et se cache vivement dans le fossé afin de ne pas être atteint par une balle perdue. Il décide donc de rentrer à la maison et me dit : " Il se passe quelque chose de grave, jíaperçois de la fumée venant de la direction des fermes de la Heurtelière et du Moulin. "
Notre voisin, Monsieur André METAIS, nous rejoint aussitôt et nous dit : " Il y a des soldats allemands camouflés route du cimetière qui tirent des coups de feu. "
Nous sommes très inquiets. Je vais chercher ma petite fi lle dans la chambre. Pendant ce temps
Mon mari et Mr METAIS ont décidé de descendre dans la cave de la poste pour nous mettre à líabri.
Apeurée, je refuse de les suivre , réaction dûe peut-être de ma part à une certaine angoisse. Puis, sur ma demande, nous décidons de rejoindre M.et Mme GANDAR, les instituteurs.
(la poste et líécole étant deux bâtiments communaux attenants.)
Nous essayons donc de les rejoindre en passant par les jardins. Mais la porte communicante est fermée de líintérieur par un verrou. Après avoir abattu cette porte à coups díépaule, nous entrons dans la buanderie, puis nous arrivons dans la cour de líécole.
Mme GANDAR , nous ayant aperçu, nous fait signe vivement de la rejoindre dans la cave de líécole. (celle-ci se situe sous les p réaux à líécart du bâtiment díhabitation). Mme GANDAR est déjà là avec son mari, ses deux enfants Michel 10 ans et Annette 2 ans, et leur employée de maison Christiane BENOIST, 17 ans.
M. GANDAR referme vivement la porte. Nous sommes tous très inquiets. Nous nous asseyons sur des planches servant de chantier à barriques et le silence síinstalle rapidement.
Nous voyons par les soupiraux de la cave des pieds bottés qui parcourent le jardin díoù nous sommes arrivés il y a seulement quelques minutes. Dans la cour de líécole, des pas, puis des coups de feu proches, un coup est tiré dans la porte de la cave où nous sommes terrés.
Aucun de nous níest atteint heureusement ; pourtant, une balle est allée se ficher dans le mur.
Tétanisés par la peur, les enfants pleurent mais instin ctivement nous avons mis nos mains sur leurs bouches pour atténuer les cris.
Le temps passe ; nous entendons toujours des coups de feu ; des odeurs de fumée parviennent jusquíà nous. Maintenant, líappartement de M. Mme GANDAR est en flammes ; nous entendons le bruit de la vaisselle cassée. Et puis, une accalmie síinstalle. Mme GANDAR ouvre un bocal de fruits pour nourrir les enfants.
Vers 14 heures, un bombardement a commençé. ; des obus sont projetés sur le bourg ; un obus síécrase sur le pignon du bâtiment de la poste.
De temps à autre, on entend des coups de feu. Vers 17 heures je crois, le calme semble revenir
Les hommes sortent de la cave et par dessus le mur du jardin qui longe la rue principale, ils découvrent líhorreur. Plusieurs morts sont étendus au milieu du bourg et au carrefour, des corps br&uci rc;lent.
Ensuite, mon mari se dirige vers notre habitation pour chercher le landau et du lait pour notre enfant. Dans la cour de líécole, il est vite mis en joue par trois jeunes allemands qui lui intiment de síarrêter et lui crient " Terroriste ". Mme GANDAR réplique vivement : " Non Terroriste ", et ils le laissent donc síéloigner.
Pendant ce temps, líAbbé PAYON, curé de la paroisse, est arrivé. Il parlemente avec les allemands. Mme GANDAR leur demande díintervenir pour nous aider à sortir du bourg. A nouveau, líAbbé PAYON síadresse aux Allemands et obtient de nous laisser sortir. LíAbbé nous accompagne jusquíau passage à niveau, route de Ste Maure et nous dit : " Allez doucement, restez grouper, ne vous retourner pas . "
Nous sommes arrivés à la ferme de Pessé, chez Mr. Et Mme GARNIER, des amis de M.et Mme GANDAR. Nous y avons passer la nuit. Comment ? Je ne sais plus.
Le lendemain matin, M.GANDAR et mon mari sont revenus au bourg. La poste, par miracle, nía pas brûlé ; un obus a dévasté le pignon. Une grenade a été jetée dans la cave où nous aurions pu être , sans cette certaine peur citée plus haut qui nous avait certainement sauver la vie.
Très angoissée par ces évènements tragiques que nous venons de vivre, il a fallu me convaincre de revenir au bourg pour reprendre mon emploi à la poste (jíavais à peine 18 ans à líépoque et jíattendais mon 2ème enfant).
124 victimes dans ce petit bourg de MAILLE, toutes des personnes connues dont ma belle-súur Georgette GUERRIER tuée dans le cellier où elle síétait réfugiée a vec son petit garçon Michel 4 ans que mon frère Emile GUERRIER ne connaît même pas. (il est depuis plus de 4 ans prisonnier en Allemagne).
Comme des automates, nous avons assisté aux obsèques le dimanche suivant.
Et puis, tant bien que mal, la vie a repris son cours. Pendant 4 mois, nous avons hébergé notre voisin M. André METAIS et sa femme Maria (absente du village ce jour-là dont la maison a brûlé).
En écrivant ces lignes, 56 années après, je me demande encore par quel miracle nous avons été épargnés.
Madame Jacqueline ROY, née GUERRIER.
Mon nom est Christiane BENOIST ; le 28 Août 1944 jíaurai 17 ans. Depuis líâ ;ge de 14 ans, je travaille à MAILLE comme employée de maison chez M et Mme GANDAR. Ils ont deux enfants un garçon de 10 ans et une petite fille de ans Michel et Annette. M et Mme GANDAR sont instituteurs à MAILLE.
Ce jour-là, comme les autres jours, je me lève puis après toilette et petit déjeuner je commence mon travail quotidien, à savoir líentretien de la maison.
Il fait très beau, le ciel est bleu, un soleil díété brille en dépit des jours anxieux que nous vivons.
Cíest líoccupation Allemande après la débâcle de 1940. En cet été de 1944, on sent bien que le denouement est procheÖ.
Ce matin, sur la voie de chemin de fer toute proche, un train est mitraillé par les avions Anglais. Curieuse, je monte dans le grenier et inconsciente du danger díun éclat ou díune balle perd ue, jíouvre le vasistas afin de mieux voir. Et je les vois, les avions piquent sur le train et mitraillent. Plus loin, je vois des nuages de fumée qui montent dans le ciel ; jíen conclu que là-bas, sur la route PARIS-BORDEAUX (devenue nationale 10) des convois militaires Allemands, remontant sur le pont de Normandie, sont attaqués aussi par líaviation Anglaise.
Le devoir míappelle (même sir les horaires sont moins stricts, nous sommes en période de vacances), mais au fait, quelle heure est-il ? 10 heures, 11 heuresÖ.Je ne sais plus.
Jíentreprends de peler des pommes de terre pour la préparation du repas. Soudain, M GANDAR passe en coup de vent et me dit de rejoindre Mme GANDAR dans la cave.
Ce ne doit pas être très urgent ; je continue mon travail, mais M. GANDAR réapparaît
Et, courroucé de me voir encore là, míenjoint de filer dans la cave car des balles sifflent un peu partout dans le bourg et dans la cour de líécole.
Tenace, jíemporte " mes pommes de terre " et descend dans la cave. Pour ce faire, jíai dû traverser une portion de cour, le préau délimite la cour et le jardin, il commence au mur qui longe la rue et se termine au bâtiment qui abrite la buanderie(par laquelle on accède au clos où deux baraquements ont été occupés par les Allemands), puis le garage et resserrre de bois et enfin la mairie. On y accède par un escalier longeant le mur qui jouxte la poste (PTT). La cave où je me rends se trouve dans líangle du bâtiment pré-cité. Elle níest pas très grande, quelques marches et cíest là, contre le mur, à gauche des casiers avec des bocaux de conserves, à droite il me semble un casier à bouteilles, puis en forme de L un chantier sans bar riques nous servira de sièges.
Mais je reviens à mon arrivée dans la cave. Mme GANDAR est là avec ses deux enfants ; presque en même temps arrivent M. Placide ROY, Jacqueline son épouse et leur bébé Liliane ; elle a 15 mois. M .André METAIS, un voisin, les accompagne ; ils sont passés par le clos , venant de la poste où ils habitent. Puis M. GANDAR rentre et ferme la porte.
Nous exprimons nos craintes, mais le silence síinstalle rapidement. Nous entendons des bruits de pas et nous voyons aussi par le, ou les soupiraux de la cave des pieds bottés qui parcourent le jardin. Nous retenons notre souffle à líidée quíune grenade jetée là nous anéantirait.
Dans la cour, des pas ; puis des coups de feu proches, un coup tiré dans la porte de la cave, la balle passe tout près de ma tête p our se ficher dans le mur derrière moi.
Tétanisés par la peur, personne ne crie, pas même les enfants, me semble-t-il, mais les mamans attentives ont peut-être devancé la réaction.
Le temps passe. Nous entendons toujours des coups de feu puis nous sentons la fumée ; là-haut, ils tirent et ils brûlent.
Quand líappartement de M et Mme GANDAR (appartement situé au bout du bâtiment scolaire) brûle, nous entendons la verrerie éclater dans le brasier. Il y a une accalmie, mais quelle heure est-il ? 12 heures, 13 heures ou plusÖ. ?
Maintenant, nous sommes soumis au bombardement, un obus síécrase sur la corniche du bâtiment que je décris plus haut. Quand cela finira-t-il ?
Mme GANDAR et Mme ROY ouvre un bocal de fruits pour désaltérer et nourrir un pe u les enfants. A quel moment aussi arrivent Mme GUERIN et M.METAIS, le père díAndré ? Ils viennent nous rejoindre. Mme GUERIN nous apprend la mort de son mari, nous parle des circonstances et comment elle a survécu. Cíest horrible.
Je sors de la cave mais à quel moment ? est-ce entre la fin de líincendie et le début du bombardement ? Je ne sais plus.
Ce dont je me souviens : je traverse la parcelle de cour qui sépare la cave de la rue, sur ma droite le bâtiment scolaire fumant calciné, la petite porte dans le pan de mur a dû être épargnée. Sans bruit, jíouvre doucement cette porte, quíy a t ëil derrière ?
Derrière, cíest la rue et je vois là, à deux pas de moi, M et Mme VINCENT, un couple de gentils vieillards étaient là, étendus, sans vie. Quelquíun avait dû passer, le tablie r de Mme VINCENT était remonté sur son visage, tandis que la casquette de M. VINCENT était rabattu sur le sien. Dans la cour, au fond, je vois Marie DOUCELIN qui síavance doucement le bras en écharpe. Nous échangeons un signe amical et là, lui demande ce qui lui est arrivé, mais un bruit sur ma droiteÖ un bruit de botte trop connu, je me retire dans la cour, par signe de nouveau je fais comprendre à Marie de repartir dans sa cache, alors que sans bruit je referme la porte et redescends dans la cave. Je raconte ce que jíai vu et la raison de mon retour précipité : Mme GANDAR, sévère, me dit : " síils tíont vue, cíest grâce à toi que nous mourrons tous ". Je pleure sur mon inconscience, de peur et díénervement.
Le temps passe, le calme et le silence se prolongent dehors. Puis, je pense que les hommes ont décidé quíil fallait faire quelque cho se. Nous ne pouvons passer la nuit ici.
Nous sortons donc de la cave et par le même trajet que jíai fait quelques heures ? plus tôt, nous voilà dans la rue. La patrouille Allemande est là de nouveau, les soldats nous font signe de nous aligner contre le pan de mur et nous surveillent, mitraillette au poing. Je suis à la gauche de Mme GANDAR, elle-même à la gauche de son mari, leur petit Michel " dans " leurs jambes alors quíAnnette est sur le bras gauche de sa maman.
<<pas un mot, un silence de mort, car à quoi penser díautre dans un moment semblable ? Mme GANDAR change líenfant de bras et, de son bras libéré, míentoure les épaules me disant dans un souffle : " Du courage mon petit, nous y allons tous ensemble ". Tant que je vivrai, je me souviendrai de ses paroles ; je les ai entendues comme un encouragement affectueux p uisque pour moi ma famille n'était pas là.
Mais il était écrit que nous ne devions pas mourir. Sur notre droite, au carrefour des routes de NOUATRE, de LA CELLE ST AVANT et celle qui conduit au cimetière, nous voyons arriver líAbbé PAYON. Aussitôt, un groupe díAllemands líentoure. Apparemment, líAbbé parle et comprend líAllemand, un échange síengage ; ah ! comme il nous paraît long.
Ö.Enfin, suivi par les Allemands, le prêtre síavance vers nous, discute encore avec les soldats puis síadresse à nous : " Je vais vous accompagner jusquíau passage à niveau de la route de Ste MAURE. Restez calmesÖ " Arrivés là, de nouveau il nous conseille le calme : " <<partez, sans flâner,, sans courir et surtout ne vous retournez pas. " Nous nous sommes éloignés, puis líAbbé est reparti vers le village où la désolation régnait, où la mort était présente et où la peur planait. Nous ne connaissions pas alors líampleur de la catastrophe, ni le nombre des victimes.
Nous arrivons bientôt à Pessé, à la ferme de M. et Mme GARNIER, un couple ami des instituteurs. Ils nous hébergent pour la nuit ñ nuit troublée, sans sommeil- Au matin, Mme GARNIER sert du café à ceux qui en désirent.
Puis, je parle à Mme GANDAR lui disant que ma place níest plus là, je níai plus de travail et dois chercher à rassurer mes parents. Mme GANDAR proteste, je suis jeune et rien níest sûr, mais jíinsiste lui disant que jíallais marcher au milieu des champs situés entre MAILLE et la route nationale en essayant de gagner la rivière, la Vienne, qui me sépare de ma faimille.
Je dis au revoir à ; tous et je prends les champs, le cúur et líúil en alerte. Le moindre bruit, la moindre ombre à líhorizon, et je me couche dans líherbe ou en rampant jíavance.
Je dépasse le village de MAILLE que je laisse sur ma droite, derrière moi. Je pleure en pensant que, sans doute, bien des personnes connues ne me parleraient jamais plus.
Soudain, une silhouette masculine sur la routeÖelle descend la côte venant de la Guignardière. Je me cache et regarde attentivement líhomme qui marche sur la route. Mais, je níai plus peur ; je connais cette démarche et je repars. Jíai reconnu mon père. Il venait chercher des nouvelles et nous sommes repartis tous les deux, son petit bateau nous attendait à NOYERS. Quelques minutes plus tard, jíavais retrouvé mes parents. Mon père est reparti avec díautres hommes pour venir à MAILLE ; il y avait à faire.
Je suis revenue à MAILLE, muette de peur, pour assister aux obsèques le dimanche suivant. Puis, pendant un mois et plus, je níai pas dormi ou si peuÖpuis jíai retravaillé et peu à peu jíai retrouvé mon équilibre. Mais, de ces lignes que jíécris au présent alors que 56 années se sont écoulées, je níai rien oublié. Je me sens privilégiée, jíai de la peine, toutes ces personnes connues qui sont mortes pour que nous vivions, mais jíai mal aussi en pensant aux familles décimées. Mais je rentre là dans un domaine qui níest plus la journée du 25 Août, mais la conséquence du 25 Août.
STE MAURE DE TOURAINE, le 16 Mai 2000
TRUFFIER BLANC,
Née Christiane BENOIST